Droit du Travail : Clause de non concurrence – violation – indemnisation

Clause de non concurrence – violation – indemnisation

Arrêt de la Cour Suprême n° 1114 du 17/12/2002
Dossier n°182/5/1/2001
Clause de non concurrence – violation – indemnisation

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Commentaire

La clause de non-concurrence est celle par laquelle le salarié s’interdit, lors de son départ de l’entreprise, d’exercer une activité professionnelle, salariée ou non, susceptible de concurrencer celle de son ancien employeur. Elle peut être contenue dans une lettre d’engagement, le contrat de travail ou la convention collective dès lors que le contrat de travail y fait référence.

L’intérêt pour l’employeur est que le salarié ne puisse pas faire un usage portant atteinte aux intérêts de son ancienne entreprise de toute l’expérience qu’il aura pu acquérir au sein de celle ci pendant la durée de son contrat de travail. A défaut d’une telle clause, le salarié retrouve à la fin de la relation contractuelle la liberté d’exercer l’activité de son choix, même concurrente à celle de son ancien employeur à condition toutefois que ce ne soit pas dans des conditions déloyales.

Or, quelle est la portée juridique donnée à une telle clause par le juge marocain en l’absence d’une disposition légale définissant les contours ? L’ARRET de la Cour Suprême n° 1114 du 17/12/2002 Dossier n°182/5/1/2001 semble dans ses conclusions s’attacher à la clause de non concurrence insérée dans le contrat pour la mettre en application sans chercher à définir les limites de façon à concilier les intérêts de l’employeur et le principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle par le salarié.

En l’espèce, le salarié après avoir quitté deux ans auparavant, le travail qu’il exerçait à la société L, il s’est engagé dans une autre société ayant la même activité que celle de son ancien employeur.

Devant cette situation, la société L introduit une requête auprès du tribunal de Première Instance de Casablanca – Anfa demandant la mise en application de la clause de non concurrence insérée initialement au contrat. Ledit tribunal a condamné le salarié au paiement, à titre de dommages intérêts, la somme de 123.140,88 Dh.

Ce jugement est confirmé par la Cour d’appel tout en modifiant le montant des dommages intérêts en le ramenant à la somme de 56.192,64 Dh. Le salarié, estimant le jugement mal fondé, se pourvoit en cassation contre ce jugement.

Il prétend en effet, que l’arrêt de la Cour d’appel manque de motifs suffisants équivalents au défaut de motifs et de base légale.

Il s’agit donc pour la Cour Suprême de savoir si la société L est dans son droit de demander des dommages intérêts sur le fondement de la clause de non concurrence et non sur un autre fondement notamment la concurrence déloyale.

L’argumentation du pourvoi n’a pas été reconnue par la Cour Suprême, qui décide, dans notre arrêt de rejeter la demande et de confirmer ainsi la décision de la Cour d’appel en vertu des termes du contrat signé entre les deux parties.

Cet arrêt présente quelques intérêts. Il reconnaît à la clause de non concurrence son autonomie même deux ans après la fin de la relation contractuelle mais cependant sans en définir les conditions de validité ou ses modalités de mise en application.

C’est pour ces différentes raisons que nous verrons tout d’abord les conditions de validité d’une clause de non concurrence, avant de traiter les modalités de la mise en application d’une telle clause.

I- Les conditions de validité d’une clause de non concurrence

En l’absence d’une législation spéciale en la matière puisque le code du travail ne s’y réfère pas, la clause de non concurrence est soumise à des conditions de validité à déduire de l’article 109 du DOC.

En effet, cet article dispose que : « Est nulle et rend nulle l’obligation qui en dépend, toute condition ayant pour effet de restreindre ou d’interdire l’exercice des droits et facultés appartenant à toute personne humaine, telles que celles de se marier, d’exercer ses droits civils.
Cette disposition ne s’applique pas au cas où une partie s’interdirait d’exercer une certaine industrie, pendant un temps ou dans un rayon déterminé ».

Cependant, en l’absence de jurisprudence constante en la matière, nous nous référons à la doctrine et à la jurisprudence en l’occurrence française pour délimiter les contours des droits et des obligations des parties dans toute relation contractuelle contenant une clause de non concurrence.

la Cour de Cassation française dans trois arrêts de principe de 10 juillet 2002 a fixé les conditions de fond et de formes auxquelles doit obéir la clause de non concurrence et ce, par les termes suivants : « Attendu qu’une clause de non concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limité dans le temps et dans l’espace qu’elle tient compte des spécificité de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives. » (Chambre sociale. Référence : Dalloz, 2002, 2491)

1- La protection des intérêts de l’entreprise

La clause de non concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts de l’entreprise. Le juge marocain doit chercher en quoi cette clause est nécessaire à la sauvegarde des intérêts précités. La particularité des fonctions exercées par le salarié (risque de concurrence) est indispensable pour justifier la protection des intérêts légitimes de l’entreprise. Cependant, la rédaction de l’article 109 du DOC ne permet pas de déduire telle condition pour mettre en œuvre la clause de non concurrence.

2- Un champ d’application limité dans le temps et l’espace

Il est nécessaire de préciser le secteur géographique et la durée de l’interdiction de concurrence. A défaut d’une telle précision, la clause devrait être déclarée nulle par le juge puisque personne ne peut être engagée par une obligation de ne pas faire pour une durée indéfinie. Le juge doit apprécier les situations au cas par cas s’il tenu de trancher un litige portant sur une contestation d’une clause de non concurrence. Cette limitation est expressément prévue par l’article 106 du DOC.

En l’espèce, le secteur géographique défini dans la clause est Casablanca et la durée est de 3 ans. La fixation de la durée ou de la zone géographique doit être fonction des possibilités que peut avoir le salarié pour exercer dans un autre secteur d’activité ou dans une autre zone. Cependant, ces limitations ne doivent, en aucune manière porter atteinte à la liberté du travail du salarié ou l’empêcher de gagner sa vie. Si par exemple, l’activité objet de la clause de non concurrence ne se trouve que dans la ville de Casablanca capitale économique du pays, le juge doit intervenir pour limiter les abus de l’application d’une telle clause et réduire par exemple le champ d’application géographique.

3- Les spécificités de l’emploi du salarié

La fonction exercée par le salarié au sein de la première entreprise doit comporter des spécificités qui constituent un risque important de concurrence pour l’employeur. Du fait qu’il s’agit de la même activité, ne peut constituer en elle-même un risque mais il faut définir en quoi cela pourrait nuire à l’intérêt de l’entreprise. Ce n’est pas le cas, par exemple, pour des métiers ne demandant pas une grande spécialisation ou expertise (coursier, chauffeur livreur, etc.) et par le biais desquels le salarié pourrait avoir connaissance d’informations spécifiques ou confidentielles.

En l’espèce, la Cour suprême ne s’est pas attardée sur la spécificité de l’activité pour valider ou refuser une clause de non concurrence ou sur les compétences ou les qualifications obtenues grâce à l’entreprise.

4- Une indemnité compensatrice

Les trois arrêts de la Cour de Cassation française en date du 10 juillet 2002 cités ci haut ont déclanché un revirement jurisprudentiel en France en considérant qu’en absence d’une contrepartie financière, la clause de non concurrence est nulle. Ce n’était pas le cas avant puisqu’elle considérait que la contrepartie financière n’était pas indispensable.

Notre juge saisi de l’affaire objet de notre commentaire n’a pas cherché à savoir si le salarié (partie économiquement faible) a bénéficié d’une contrepartie pécuniaire pendant la durée de la relation contractuelle en contrepartie de la clause de non concurrence insérée dans le contrat qui le liait à son employeur. Il ne s’est attaché qu’aux termes de la clause et de son application dans le cas d’espèce.

II. La mise en application de la clause

1- la mise en application pratique de la clause

La clause de non concurrence s’applique à la fin du contrat de travail, quelle que soit la cause de la rupture (licenciement, démission, retraite, rupture durant la période d’essai…) et même si le salarié est dans l’impossibilité d’avoir une activité concurrentielle.

Elle trouve son point de départ à la date de cessation effective des fonctions. Aussi, si le nouvel employeur avait connaissance de la clause de non-concurrence avant de signer avec le salarié, peut, lui, se voir poursuivi en responsabilité.

Lors de la mise en application de ladite clause, le juge du fond doit intervenir pour restreindre son utilisation d’une manière arbitraire. Il peut par exemple réduire le champ d’application géographique d’une clause lorsqu’elle porte atteinte à la liberté du travail du salarié. C’est au regard des spécificités de l’emploi du salarié que doivent s’apprécier la durée et l’étendue territoriale ou professionnelle de l’interdiction et la proportionnalité de la contrepartie financière.

2- la contestation de la clause

Comme toute clause du contrat de travail, la clause de non-concurrence se voit soumise à l’article 15 du Code du travail, qui indique que la validité du contrat de travail est subordonnée aux conditions relatives au consentement et à la capacité des parties à contracter ainsi qu’à l’objet et à la cause du contrat, telles qu’elles sont fixées par le code des obligations et contrats.

Cependant, seul le salarié peut agir en nullité de la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail. En l’espèce, le salarié au lieu de demander la nullité de clause s’est résigné à vouloir prononcer par le tribunal qu’il s’agit d’un licenciement abusif. C’est ce qui fait qu’un nouvel employeur ne peut former, en invoquant une telle nullité, tierce opposition au jugement qui a statué sur cette action. (Cass. Soc. 2 février 2006 : J.C.P. S. 2006, n°12, p.37)

Source : www.artemis.ma

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