France : Des entreprises en lutte contre le turnover
Thomas B. a 27 ans, dont cinq d’expérience professionnelle. Commercial dans les produits d’entretien, il n’a jamais été licencié et a pourtant déjà connu… quatre contrats à durée indéterminée. « La plupart de mes collègues font le même choix de carrière, explique-t-il. On fait vite le tour du poste et on part lorsqu’on se lasse. » Il n’est donc pas surprenant que le taux de rotation soit en moyenne de 20 % chez les commerciaux en France, soit le turnover le plus élevé de tous les métiers. Viennent ensuite les informaticiens des sociétés de services et d’ingénierie en informatique (SSII) et les employés de la restauration.
Connu des employeurs depuis des années, le phénomène n’est considéré comme un problème que depuis peu. La rotation naturelle du personnel d’une entreprise se situant entre 5 % et 15 % selon les secteurs, un taux plus élevé est maintenant perçu comme un révélateur de la démotivation des salariés.
Si certains patrons sont peu sensibles à cet argument, ils le sont davantage à celui des pertes financières qui y sont associées : perte de productivité, coût du renouvellement du processus d’embauche et d’intégration, etc. Selon Henri Savall, fondateur de l’Institut de socio-économie des entreprises et des organisations (Iseor, université Jean-Moulin-Lyon-III), ces « coûts cachés » peuvent atteindre jusqu’à 60 000 euros par personne et par an. De quoi faire réfléchir les employeurs aux moyens de retenir et motiver leurs salariés.
Mais « il est plus difficile de donner l’envie de rester à un salarié que l’envie de partir », note Michel Lazzari, consultant chez Abdias Conseil, spécialiste de la gestion de compétences. Les grands groupes peuvent mettre l’accent sur la formation, sur les perspectives d’évolution de carrière et sur l’évaluation des salariés par le biais du rite des entretiens annuels, car « un individu écouté par sa direction se sent valorisé », note Diane Van Hove du cabinet de conseil en ressources humaines SHL.
Mais les PME, premières victimes du phénomène, ont plus de difficultés. La société Erhyg, spécialisée dans l’hygiène et la maintenance, a ainsi perdu 5 de ses 18 salariés en 2007. « C’est désolant, regrette son PDG, Dominique Wazzau, mais notre métier à un effet repoussoir sur les individus compétents. » M. Wazzau a donc décidé de tout mettre en oeuvre pour conserver ses salariés : réduction des heures supplémentaires, implication des techniciens dans la conception des fiches d’intervention, multiplication des réunions informelles… La formule a pour l’instant l’air de marcher, affirme-t-il.
Du côté des SSII, il est aussi difficile d’empêcher les consultants de se faire embaucher par le client après avoir effectué une mission. Alain Donzeaud, vice-président de la chambre syndicale Syntec Informatique, ne voit d’ailleurs pas nécessairement le turnover comme un handicap. « C’est un signe de vitalité du marché, il faut bien qu’il y en ait qui partent pour que de nouveaux entrent », précise-t-il.
Néanmoins, les SSII sont plus attentives aux entretiens d’évaluation de leurs salariés, véritables baromètres de la vie de l’entreprise. « Les employeurs mettent dorénavant l’accent sur leur responsabilité sociale et sur les perspectives de développement professionnel, note M. Donzeaud. Plutôt en termes d’accroissement et de maintenance des compétences que de promesses d’évolution de carrière dans l’entreprise. » Car faire carrière dans une seule entreprise n’est vraiment plus à la mode chez les informaticiens.
Chez les commerciaux, il s’agit surtout, pour les employeurs soucieux de garder leur force de vente, d’alléger le stress engendré par l’exigence de résultat et la rémunération variable. Paritel Télécom, qui vend des solutions télécoms aux petites entreprises et aux professions libérales, propose ainsi une organisation du travail à la carte selon la compétence et l’ancienneté. Les entrants bénéficient également des conseils de « parrains ». Signe du succès de la démarche : 30 % des embauches se font par recommandation interne. « Un salarié motivé est la meilleure vitrine que l’on puisse avoir », estime le PDG, Jean-Philippe Bosnet.
Source : LE MONDE ECONOMIE