Le système de retraite au Maroc: Vers quelles évolutions?
IL y a une prise de conscience collective des défis que constituent les évolutions démographiques et de leur impact sur l’organisation et le financement de la retraite. Les déséquilibres attendus des régimes de retraite, l’élargissement de la couverture ou encore la gouvernance du système appellent une réforme d’ensemble.
L’objectif de toute réforme est d’assurer un niveau de vie satisfaisant aux individus sans peser sur les plus jeunes générations une charge trop lourde et qui serait injuste. Des réformes réussies permettront d’éviter des problèmes budgétaires majeurs, d’améliorer les niveaux et la qualité de la vie et de déboucher sur une société plus équitable.
La tentation est grande de remettre les réformes à plus tard, et les expériences étrangères montrent que les solutions sont beaucoup plus difficiles à trouver et à mettre en oeuvre si les réformes jugées indispensables sont repoussées.
Un certain nombre d’ajustements ont été réalisés durant ces dernières années par les régimes de retraite au Maroc, et en particulier au sein de la Caisse marocaine de retraite (CMR), de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), du Régime collectif d’allocation de retraites (RCAR) et de la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR).
Mais ces ajustements ne suffiront pas à remédier aux déséquilibres attendus des régimes de retraite. Une réforme globale est primordiale afin de stabiliser et de pérenniser le système de retraite public.
Après une introduction des expériences étrangères en matière de réformes des retraites, les évolutions des régimes de retraite au Maroc seront discutées.Dans tous les pays industrialisés, le système de retraite comprend un premier pilier qui fonctionne par répartition, un second pilier, qui fonctionne soit par répartition, soit par capitalisation (obligatoire ou facultative) et un troisième pilier qui est par capitalisation et facultatif. Il y a donc dans tous les pays industrialisés, un système composé d’un régime public et de régimes privés. La plupart des pays de l’OCDE subissent un choc démographique, lié à une baisse de la fécondité, une arrivée à la retraite des générations du baby-boom et un allongement continue de l’espérance de vie. Face à ces évolutions, les différents pays convergent largement sur les objectifs d’une réforme des régimes de retraite. Un consensus se dégage sur un certain nombre de lignes directrices, exposées dans les rapports de stratégie nationale ‘Des systèmes de pension sûrs et viables’, rédigés dans le cadre de la Méthode ouverte de coordination européenne sur les retraites: assurer la viabilité financière des systèmes de retraite, cibler un niveau de vie des retraités satisfaisant, rechercher une plus grande équité, assurer le pilotage à long terme des systèmes, mettre en oeuvre des réformes progressives qui s’adaptent à un environnement social, économique et démographique changeant.
Toutefois, les méthodes à mettre en oeuvre diffèrent selon les pays. Contrairement à la France, qui a opté pour une réforme paramétrique (modification des paramètres des régimes – loi du 21 août 2003), un certain nombre de pays d’Europe du Sud et d’Europe de l’Est ont choisi, à l’instar du Royaume-Uni, de développer des mécanismes d’épargne collective et individuelle à travers l’instauration de régimes de fonds de pension. Ces fonds de pension qui fonctionnent selon la technique de la capitalisation ont pour but de fournir aux salariés et aux travailleurs indépendants des prestations de pension complémentaire.
Intra et intergénérationnelle
Les réformes entreprises prévoient ainsi, selon les pays, une modification des règles d’indexation, un décalage de l’age de départ à la retraite, un accroissement des cotisations, le développement de fonds de pension ou encore la constitution de fonds de réserves. Ces fonds ont pour objectif d’être des fonds de ‘précaution’, des fonds de lissage des évolutions à long terme des taux de cotisation.
Par ailleurs, dans l’ensemble des réformes entreprises, une place nouvelle est donnée à l’équité intra et intergénérationnelle. En Italie, cette évolution s’est traduite par une uniformisation des conditions d’acquisition et de liquidation des droits à la retraite entre les différentes catégories socioprofessionnelles (notamment entre les salariés du secteur public et du secteur privé). En Italie et comme en Suède, Pologne et Hongrie, la recherche de l’équité passe par la prise en compte de l’espérance de vie dans le calcul de la pension.
Assurer un meilleur pilotage sur le long terme est inscrit également dans l’ensemble des réformes à travers l’instauration d’instruments de pilotage tels, par exemple, les fonds de réserves. La création de fonds de réserves, mais également de fonds de pension en Espagne, au Portugal, en Italie, en Suède, en Pologne, en Hongrie; la mise en place de comptes notionnels -mécanisme à cotisation définie dans lequel chaque assuré est titulaire d’un compte individuel crédité de cotisation et reçoit une pension fonction du capital accumulé, de l’age de départ à la retraite et de l’espérance de vie- constituent autant d’innovations en matière de financement de la retraite. La mise en place de compte notionnel, par exemple, prévoit la fixation d’un taux de cotisation et un ajustement automatique par le niveau des pensions.
Cet ajustement, prévu dès le début de la réforme, est appliqué de manière régulière en fonction des gains d’espérance de vie constatés.
L’équilibre financier du système passe alors par l’évolution du taux de remplacement liée à l’augmentation de l’espérance de vie (anticipée ou constatée). Dans ce cas, il y a alors un partage des gains d’espérance de vie qui se traduit par un recul de l’age auquel est atteint un niveau de retraite donné, sans qu’il y ait cependant de baisse de ce niveau pour une espérance de retraite donnée.
L’Irlande (1997), l’Espagne (1997), le Portugal (2000) et la France (1999) ont choisi de créer un fonds de réserve pour les retraites. Au niveau macro-économique, la constitution de réserves financières, en imposant les actifs et les retraités actuels, constitue un moyen de limiter la charge financière reportée sur les générations futures. Cette opération permet alors de partager le coût entre les générations actuelles et les générations futures. Qu’en est-il de l’architecture du système de retraite au Maroc et de son évolution?
Organisation et évolution de la retraite au Maroc
L’organisation du système de retraite au Maroc comprend des régimes de base et des régimes complémentaires.
Les régimes de base sont constitués des caisses suivantes:
– La Caisse marocaine de retraite (CMR) gère les prestations des fonctionnaires civils et des militaires ;
– La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) couvre les salariés du secteur privé;
– Le Régime collectif d’allocation de retraite (RCAR) est destiné aux agents contractuels dans le secteur public et aux personnels des établissements publics.
– Les caisses internes des grands établissements publics, tels que l’OCP, l’ONE, l’ONCF gèrent les prestations de leurs employés.
Parmi les régimes complémentaires à adhésion facultative, le plus important est celui de la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite (CIMR).
La population des retraités est évaluée à près de 3 millions. La CNSS gère l’effectif le plus élevé suivi par la CMR, la CIMR, le RCAR, l’OCP et l’ONE (cf. tableau). Un premier constat frappant est celui relatif à la faiblesse de la couverture des régimes de retraite. En effet, les taux de couverture sont très faibles avec près de 21 % de la population active. Le second constat porte sur les déséquilibres entre les cotisants et les pensionnés. Ainsi, bien qu’il soit observé un accroissement de la population des affiliés au sein des régimes, le nombre de bénéficiaires augmente plus rapidement que celui des cotisants. En conséquence, le rapport démographique à tendance à se dégrader.
Ainsi, pour la CMR, le nombre d’actifs par retraité est de 4,5 aujourd’hui contre 7,5 en 1994. Au sein du RCAR, le rapport est de 3,64 en 2005 contre 9,2 en 1994. A la CIMR, il est passé de 2,5 en 2003 contre 4,2 en 1994. Et à la CNSS, de 8,7 en 1994, il atteint 7,7 en 2004.
Les régimes de retraite par répartition ont montré leurs limites dans un contexte économique et démographique défavorable. Maintenir le système en l’état contribue à l’insoutenabilité des régimes et à l’inégalité entre les générations, et ce en reportant la charge financière sur les plus jeunes générations. L’élargissement de la couverture constitue un défi majeur. Des actions publiques permettant de favoriser la formalisation de secteurs de production seraient d’une part bénéfiques pour les employés qui accéderaient alors à une couverture sociale, et d’autre part amélioreraient le financement des retraites et les finances publiques par l’accroissement des flux d’entrée de cotisations.
Quels que soient les choix effectués sur l’architecture globale du système de retraite, le financement futur doit être programmé et des choix doivent être faits sur les objectifs pour les taux de cotisation, le niveau des pensions (taux de remplacement et mode d’indexation des pensions liquidées) et l’age de la retraite.
Ne pas accepter ces évolutions et les réformes à entreprendre ne feraient qu’accroitre les déséquilibres, néfastes pour les ménages et pour l’économie dans son ensemble, et aussi iraient à l’encontre des objectifs de solidarité intergénérationnelles des régimes de retraite par répartition.
Epuisement des réserves
SUR le plan des réserves, si aucune réforme n’est engagée, une dégradation du niveau des réserves financières, et ce, particulièrement au sein de la CNSS et de la CMR est à prévoir. En effet, selon la DAPS, les premiers déficits des régimes de retraite (exceptés pour le RCAR) sont prévus vers 2010-2011 et l’épuisement des réserves vers 2016-2018 ; le déficit du financement de l’ensemble des régimes est évalué à 87% du PIB sur la période 2004-2025.
Anticipant ces évolutions, dès les années quatre-vingt-dix différentes mesures ont été prises par les régimes de retraite.
La CMR a ainsi procédé à une première réforme en 1996 puis à une seconde en 1997 avec l’instauration de réserves de prévoyance alimentées par la part patronale ainsi que par les arriérés de la période antérieure à 1996. Une augmentation du taux de cotisation a également été décidée ainsi que l’instauration d’un mécanisme de pilotage actuariel.
A partir de 2002, la CNSS a mis en oeuvre un ensemble de mesures dont l’accroissement des taux de cotisation, la hausse du plafond pour le salaire recouvré, la mise en place de la retraite anticipée dès l’age de 55 ans ou encore l’introduction dans le calcul de la pension du salaire de référence sur 96 mois. Le transfert d’une partie des réserves de la caisse des allocations familiales à la caisse de retraite a également été réalisé. Au sein du RCAR, il a été procédé à une intégration des caisses de l’ONCF et de la Régie des Tabacs. Au sein de la CIMR, les valeurs de liquidation et d’achat du point ont été modifiées. La gestion des cotisations est désormais en répartition. Ces différentes mesures permettent de repousser les échéances des déséquilibres dans l’ensemble des régimes mais non de les régler.
Ainsi, par exemple, les mesures adoptées au sein de la CMR (déplafonnement de l’assiette, augmentation des taux de cotisation, règlement des arriérés de l’Etat) ne permettent qu’un décalage des déficits de quelques années (cinq années).
Quid de l’organisation administrative et financière?
Les modes de liquidation se révèlent aujourd’hui inadaptés au contexte démographique et financier des régimes. La pension est en effet calculée sur la base du dernier salaire (CMR et ONE) ou du meilleur salaire de carrière (OCP).
Le taux de remplacement peut alors atteindre 100% du dernier salaire pour les fonctionnaires voir 120% pour les affiliés à l’ONE. Aussi, l’indexation dans certains régimes porte sur les salaires et est souvent mise en oeuvre de manière ad hoc.
Maintenir ce type de règles d’indexation et de liquidation au sein du système de retraite est source d’insoutenabilité.
Dans l’ensemble des pays observés, l’indexation porte aujourd’hui sur les prix et le calcul des pensions est effectué sur une chronique plus large des salaires. Ce qui permet alors de limiter les déséquilibres financiers.
Les règles de placement au sein des régimes se révèlent, quant à elles, très contraignantes dans la mesure où elles limitent fortement la diversification des placements et ainsi leur rendement. Un assouplissement de ces règles permettrait de dégager des ressources supplémentaires non négligeables pour les régimes de retraite.
Aussi, une modification des taux de cotisation pourrait être mise en oeuvre, et ce en fonction de la situation économique. L’argument souvent avancé contre ce type d’ajustement est l’alourdissement des prélèvements obligatoires. Or une hausse des taux de cotisation ne conduit pas nécessairement à une hausse des prélèvements obligatoires si la maitrise des dépenses publiques a permis une baisse de la dette publique. Si ce type d’ajustement n’est pas alors réalisable, en raison du niveau de la dette publique, l’équilibre financier du système peut alors être recherché à travers une modification du taux de remplacement. Cette modification pourrait alors être corrélée avec l’augmentation de l’espérance de vie et associé à un développement de compléments de pension de retraite, et ce au sein et avec la participation des entreprises et à travers des produits d’épargne retraite.
Source : leconomiste.com