Pénurie des compétences: C’est la métastase!

  • Les difficultés de recrutement s’exacerbent
  • Les plus touchés: tourisme, BTP, textile et nouvelles technologies
  • Ouverture du Forum ‘GRH au Maroc’ ce jeudi à Casablanca

L’embellie que connait l’économie marocaine se heurte plus que jamais à la crise de la main-d’oeuvre qualifiée et, plus globalement, des compétences. La difficulté à recruter touche quasiment tous les secteurs et encore plus, ceux qui enregistrent une forte croissance: tourisme, textile, BTP, centres d’appel, nouvelles technologies, etc. Dans le BTP, ce sont les professionnels de Tanger qui avaient lancé le cri d’alarme, le manque de techniciens bac +2 menaçant les chantiers d’infrastructure dans la région.
Tous les experts interrogés sont unanimes: cette ‘tension’ est due au décalage entre l’offre éducative et les besoins des entreprises, mais aussi, le manque de flexibilité du système d’enseignement. Résultat, le nombre des diplômés au chômage n’a jamais été aussi élevé et la plupart des cas, les jeunes sont contraints à accepter du travail en dessous de leur niveau de formation. Les centres d’appel, par exemple, recrutent aujourd’hui massivement au niveau bac +4.
Malgré des poches de réussite, la formation professionnelle ne trouve pas non plus grace auprès des DRH. Que lui reproche-t-on? Pas assez complète et rigoureuse. Le tourisme, avec des taux de croissance à deux chiffres, est sans doute l’activité où la situation est la plus critique. Trouver des serveurs ou des chefs de cuisine qualifiés relève presque du ‘miracle’. A cela s’ajoute l’appel d’air provenant de l’Espagne qui a conclu des accords d’immigration de main-d’oeuvre avec le Maroc. Ce sont, surtout, des salariés expérimentés qui prennent le large, profitant des meilleures conditions que leur proposent les Espagnols. Les entreprises marocaines, dans l’hôtellerie en particulier, sont sur la défensive faute de pouvoir améliorer leur attractivité.
Des besoins en formation sont gigantesques au regard des investissements dans le secteur. Sur le terrain, le dispositif, malgré des efforts, a du mal à suivre. Azzelarab Kettani, président de la Fédération nationale des restaurateurs (FNR) et président de la commission formation de la Fédération hôtelière confirme: ‘les formateurs n’ont pas de vécu professionnel et le programme est à des années lumière de la réalité dans l’entreprise touristique; beaucoup d’enseignants n’ont jamais mis les pieds dans un hôtel et ne connaissent quasiment rien du métier’. A la décharge de ces établissements de formation, le manque d’implication des professionnels si prompts à critiquer leurs défaillances. Dans un domaine où la règle est la formation par alternance, les jeunes éprouvent le plus grand mal à trouver des entreprises d’accueil.
Une part importante des salariés dans le tourisme actuellement possède soit un niveau bac, soit juste en dessous, révèle le président de la FNR. Souvent, ils y arrivent non pas parce que le secteur est très attractif, mais parce qu’il représente une ‘roue de secours’. En réalité, la majorité des entreprises touristiques doivent aussi balayer devant leurs portes en améliorant leur attractivité sociale.
‘Le système dans lequel on se retrouve actuellement est une impasse: on forme les gens en ayant peur qu’ils aillent voir le concurrent; si on ne les forme pas, ils ne sont pas opérationnels et nous perdons en productivité’, observe Azzelarab Kettani. Bref, c’est le serpent qui se mord la queue. Il faut compter entre 6 et 8 mois pour une formation crédible dans le domaine touristique. Même constat pour les centres d’appel. Jerôme Mouthon, directeur général de Sysnek France et Cerdis Maroc, spécialisées dans le télémarketing et webmarketing, déclare recevoir régulièrement des personnes sorties de l’enseignement général qui s’imaginent intégrer son entreprise ‘simplement parce qu’ils parlent français’. Or, c’est bien plus compliqué que cela: non seulement il faut parler correctement français mais aussi, être motivé. De la motivation, il en faut, il est vrai, dans une activité aux horaires contraignants et pas toujours bien rémunérés.
La fourchette des salaires oscille entre 3.500 à 4.500 dirhams mensuels pour un opérateur avec expérience. Néanmoins, la mauvaise réputation des centres d’appel est imputable aux conditions de travail et un stress permanent. Les plus performants mettent, généralement, à disposition de leurs salariés un système de compensation sociale: des primes à la semaine ou au moins selon les performances réalisées par le téléopérateur, un cadre de travail agréable avec des salles aménagées pour les fumeurs, et puis surtout, la déclaration totale du nombre d’employés à la CNSS (ce n’est pas forcément un acquis partout).
Le turn-over relativement élevé, en moyenne 10% par mois, dans les centres d’appel est l’une des équations que doivent résoudre les DRH des entreprises dans ce secteur. Face à la crise du personnel qualifié, les employeurs se ‘piquent’ de bons éléments sans état d’âme. A la longue, cela finit par déstabiliser toute l’organisation.
Les journaux débordent d’annonces de recrutement des milliers de télé-opérateurs chaque semaine. L’une des conséquences de cette ‘pénurie’ des compétences est la pression sur les salaires. Ce qui, à terme, pourrait menacer la compétitivité-prix de la destination, un de ses arguments de vente auprès des investisseurs dans les centres d’appel.
Face aux difficultés d’adaptation des jeunes, les entreprises ont intégré la formation dans leur ‘package recrutement’. C’est un investissement supplémentaire qui peut atteindre des sommes importantes et repousser dans certains cas, le seuil de rentabilité d’un projet. Ce n’est pas un hasard si les régimes conventionnels intègrent la prise en charge partielle de la formation (au métier) des salariés.
Le textile habillement qui remonte de manière spectaculaire après une traversée du désert affronte une pénurie d’une rare intensité. Non seulement il lui manque des ouvriers qualifiés et des techniciens, mais également, et c’est peut-être là le fait nouveau, des managers. S’il est abusif de mettre tout le monde dans le même panier, le textile traine une mauvaise image (largement méritée) à cause des conditions sociales d’un autre age. Pour bien des gens, travailler dans le textile aujourd’hui est synonyme d’exploitation. Cela signifie donc faible attractivité et difficulté à attirer des talents sur le marché.
Conséquence de la montée sur la chaine de valeur, le secteur souffre par ailleurs d’un manque de spécialistes-métiers de niche comme les stylistes de tissu et des maintenanciers dans la confection pour l’ameublement.
Plus globalement, il en sera fini du recours à une main-d’oeuvre analphabète et corvéable à merci du fait même de l’évolution de cette industrie et de la montée en gamme. Pas possible non plus de compter sur le ‘travail au noir’ pour améliorer la compétitivité-coût. La sous-traitance à façon telle qu’elle a été pratiquée pendant des décennies est condamnée à disparaitre, la compétitivité se jouant d’abord sur la qualité et la productivité des ressources humaines.

Source : leconomiste.com

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