Retraites en France : supprimer les régimes spéciaux ou changer de système ?
Le gouvernement français s’attaque résolument à la suppression des régimes spéciaux de retraites. Il semble bénéficier pour cela d’un large appui de l’opinion, devenue plus sensible aux abus des privilèges d’origine étatique. Les bénéficiaires actuels de ces régimes sont, pour leur part, opposés à cette réforme. Ils y voient une rupture unilatérale des engagements de l’Etat, puisque ceux qui ont choisi tel ou tel métier dans ces entreprises privilégiées avaient tenu compte de l’avantage apporté par les régimes spéciaux de retraite. Ils font aussi valoir que certains de ces métiers sont pénibles et qu’il est justifié d’accorder à ceux qui les exercent une retraite précoce. Mais cette pénibilité est difficile à évaluer. Et on ne voit pas pourquoi un agent administratif travaillant dans une entreprise à régime spécial aurait un travail plus pénible qu’un agent exerçant à peu près les mêmes fonctions dans une autre entreprise.
En réalité, ce qui est en cause, c’est le fait que l’Etat dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour prendre des décisions ayant une incidence majeure sur la vie des gens. Il décide arbitrairement que les salariés de telle ou telle entreprise effectuent un métier pénible qui mérite en compensation un bonus pour la retraite ; il change les règles du jeu en fonction de ses contraintes budgétaires ou de l’état de l’opinion. Or il est impossible d’obtenir un consensus au sujet de toutes ces questions. Devant la crise de financement qui s’annonce, faut-il augmenter la durée de cotisation ou augmenter les taux des cotisations ? Pour répondre aux souhaits des uns et des autres, il n’y a qu’une réponse possible : enlever le pouvoir de décision à l’Etat et le rendre à ceux qui sont concernés, les futurs retraités. Cela implique de passer à un système par capitalisation, en supprimant la notion même d’un age légal de la retraite.
La différence essentielle entre un système de répartition et un système de capitalisation est que le premier est fondé sur l’irresponsabilité individuelle, alors que le second repose sur la responsabilité individuelle. Dans un système par répartition, chacun compte sur les autres. Il en résulte une situation conflictuelle, opposant les retraités aux actifs, les jeunes aux moins jeunes, les bénéficiaires de régimes spéciaux aux assujettis du régime général, etc. Cette guerre de tous contre tous disparait avec un système de capitalisation, puisque chacun sait que son avenir de retraité dépend de l’effort d’épargne accompli dans sa vie professionnelle. Chacun peut choisir de prendre sa retraite plus ou moins tôt, le montant de ses gains en étant évidemment affecté. On ne fait plus payer par les autres la décision d’arrêter de travailler à cinquante ans. Et si l’on décide de choisir un métier que l’on considère comme pénible et peu compatible avec une durée d’activité élevée, on doit s’assurer que la rémunération en est suffisante pour pouvoir accumuler plus rapidement un capital et permettre une retraite précoce.
Seule la liberté de choix permet de s’adapter à toutes les situations. Au lieu d’imposer ou de supprimer autoritairement des régimes spéciaux, on permet à chaque Français de construire lui-même son ‘ régime spécial ‘. Malheureusement, les gouvernements n’ont pas osé effectuer le passage à la capitalisation, soit parce qu’ils n’en comprenaient pas l’intérêt, soit parce qu’ils avaient peur de syndicats attachés au système actuel, qui leur donne pouvoir et moyens d’existence. On a introduit un peu de capitalisation et on a créé un fonds de garantie pour les retraites. Mais, comme toujours en France, il s’agit de réformettes et de fausses solutions. On redoute les investissements réalisés en France par les fonds de pension étrangers, mais on ne donne pas aux Français des moyens d’investir chez eux. Et même si la suppression des régimes spéciaux constitue une avancée, on n’ose pas faire la rupture, celle qui permettrait de rendre aux Français leur liberté de choix et d’éviter la terrible crise des retraites annoncée depuis de longues années. Outre sa flexibilité, un système de retraite par capitalisation offrirait un énorme avantage : il inciterait les individus à accumuler davantage d’épargne, ce qui permettrait une croissance plus vive et garantirait aux futurs retraités un niveau de vie supérieur à celui qu’ils sont en droit d’espérer dans le système actuel. Certes, ceux qui s’opposent à la capitalisation évoquent les risques de la variabilité des cours de Bourse. Mais le bon fonctionnement d’un système de capitalisation est surtout lié au rendement de long terme des actions et des obligations. Or il n’y a de ce point de vue aucune inquiétude à avoir pour des portefeuilles diversifiés, dont le rendement serait d’autant plus élevé que l’abondance de l’épargne soutiendrait l’activité et donc la santé des entreprises.
Quant aux difficultés de la transition d’un système à un autre, elles doivent être relativisées. Le passage serait difficile parce qu’il impliquerait un double prélèvement pendant un certain temps. Mais la réalité est différente. L’irresponsabilité passée du système de répartition fait peser sur la tête de chaque Français une dette considérable, correspondant aux promesses de retraites futures. Quel que soit le système, cette dette devra être honorée. On peut l’actualiser, et c’est d’ailleurs ce que fait – très partiellement – le fonds de réserve des retraites (ce qui implique bien un double paiement : celui qui est fait pour constituer ce fonds et celui qui est fait pour payer les retraites promises). De manière similaire, lors du passage à la capitalisation, on continue à payer les retraites par répartition qui sont dues, mais au lieu de constituer par ailleurs un fonds de réserve collectif avec des versements obligatoires et donc destructeurs des incitations productives, on permet aux futurs retraités de constituer leur propre fonds de garantie, ce qui les incite à épargner librement davantage.
Source : lesechos.fr